À Marseille, au congrès mondial de la nature, la finance s’est taillé une place majeure le 4 septembre avec deux sessions dédiées. Les appels à la mobilisation internationale y ont été relayés comme la nécessité de donner plus d’ampleur aux travaux méthodologiques d’évaluation de la dépendance à la nature. Les acteurs financiers publics, comme la Caisse des dépôts, espèrent voir le mouvement s’amplifier au sein de la finance privée.
Six ans après la COP 21 à Paris, ceux qui ont animé le mouvement de mobilisation de la finance sur le climat se retrouvent à Marseille au Congrès de l’UICN avec l’espoir de reproduire le schéma : un sursaut sectoriel majeur qui permette de réorienter les financements pour réparer la nature. Le facteur déclenchant pourrait être la juste estimation du coût économique des risques de sa destruction progressive ce qui devrait entrainer le financement de programmes de restauration tous azimuts, voire de mécanismes de compensation plus décriés, si le mouvement suit le modèle développé par la finance climat depuis 2015.
Cette année-là, Mark Carney alors Président du conseil de stabilité financière du G20 faisait du changement climatique un risque systémique pour la stabilité financière mondiale. En 2021 c’est à Christine Lagarde, la présidente la Banque Centrale Européenne, de lancer l’alerte. Pour elle, “Il n’y a pas de stabilité économique et financière sans le respect de la nature et sans la contribution de la nature, car nos économies en sont dépendantes. C’est pourquoi nous devons faire en sorte que les décisions économiques internalisent les dommages que nos sociétés font subir à la biodiversité“.
Forte exposition de la finance
De la COP 21 sont nées les pratiques d’évaluation d’empreinte carbone de portefeuilles dont les méthodologies s’affinent d’année en année. Cela rend certains investisseurs capables de publier la température de réchauffement de ces portefeuilles et de mesurer ainsi l’écart à combler pour tenir l’objectif de l’Accord de Paris : pas plus de 2 degrés à la fin du siècle ! Le chiffrage de la dépendance à la nature en est à ses balbutiements, pour les entreprises et les investisseurs ce qui rend d’autant plus précieux les rares travaux existants. C’est le cas de la publication portée par la Banque de France qui vient de sortir. Son titre est éloquent : “Un printemps silencieux pour le système financier ?”. Pour évaluer le volume du son de ce silence, les chercheurs se sont appuyés sur une méthodologie développée par CDC Biodiversité et Carbone 4 (BIA-GBS) qui a été testé sur un portefeuille investi dans l’univers de l’indice Stoxx600.
Ces auteurs estiment que la menace est forte pour les investisseurs français : “42 % du montant des actions et obligations détenues par des institutions financières françaises est émis par des entreprises qui sont fortement ou très fortement dépendantes d’au moins un service écosystémique“. Ce constat rend d’autant plus important le message des 55 investisseurs pesant 9000 milliards de dollars qui participent au Mouvement de la finance pour la biodiversité (Finance for Biodiversity Pledge) relayé au sein de la table ronde organisée au sein du Pavillon France “Financement de la biodiversité : au-delà des engagements, quelles actions concrètes ?”, avec Philippe Zaouati, DG de Mirova, groupe Natixis, et Nathalie Lhayani, Directrice de la politique durable de la Caisse des dépôts.
Un monde plus patient et moins rentable
Elle a rappelé qu’il était crucial d’intégrer le poids de la finance dans les négociations de la COP 15 biodiversité dont un premier round aura lieu à la fin du mois de septembre. L’implication des grands acteurs financiers dans la préparation de l’Accord de Paris sur le climat a été déterminante dans la remise en cause du poids des énergies fossiles, à commencer par le charbon, dans le système financier global. En revanche, le défi est immense sur la biodiversité. Dans une interview à 20 Minutes, Rémy Rioux le DG de l’AFD expliquait clairement que “Le sujet n’est plus seulement de financer des réserves et des parcs naturels mais de réorienter l’ensemble du système économique“. Il ajoutait : “Les niveaux de croissance et les retours sur investissement qui étaient attendus depuis une trentaine d’années n’ont plus de sens. Il va falloir entrer dans un monde plus patient, moins rentable !“
On estime à environ 1 000 milliards de dollars par an les investissements nécessaires pour avoir un effet positif sur la nature alors qu’ils atteignent aujourd’hui à peine les 150 milliards de dollars, dont 80 % d’argent public. Pour aider le plus grand nombre à comprendre tous ces enjeux, la Caisse des dépôts organise mardi 7 septembre une Journée de la nature avec débats, ateliers et reportages sur les actions de réparation mises en œuvre sur tout le territoire L’évènement sera diffusé sur Internet et la plateforme restera accessible plusieurs mois. L’objectif : expliquer que l’heure est grave mais que les solutions concrètes existent et les acteurs financiers commencent à prendre leur part.
NVTC
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