À quelques semaines de la COP27 qui se tient en Égypte, le groupe V20, composé des pays les plus vulnérables au réchauffement climatique, envisage d’annuler sa dette collective de 686 milliards de dollars afin d’investir dans des projets environnementaux. Explications.
Les 55 pays les plus vulnérables au changement climatique, membres du Vulnerable Twenty Group (V20), pourraient interrompre le remboursement de leur dette collective de 686 milliards de dollars, a révélé le New York Times dans un article publié le 14 octobre. D’abord mentionnée dans un tweet par Mohamed Nasheed, l’ancien président des Maldives, membre du V20, cette mesure a de nouveau été abordée lors du dialogue ministériel du groupe, ce dimanche 16 octobre, en clôture de l’assemblée annuelle de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). « Les pays vulnérables au changement climatique devraient tout simplement abandonner leurs dettes, a déclaré Mohamed Nasheed, « ambassadeur de l’ambition » pour le V20. Étant donné l’injustice [que représente cette dette, nldr], nous devrions collectivement refuser d’effectuer des paiements ». Contacté par le quotidien new-yorkais, un porte-parole de ce groupe « miroir » du G20 a confirmé que les pays concernés envisageaient l’arrêt des remboursements de la dette jusqu’à ce que les banques prennent leur part dans la lutte contre le changement climatique.
Sans pour autant parler ouvertement d’effacement ou d’abandon de la dette, les pays du V20 ont collectivement plaidé pour « restructurer » cette dernière, dans un communiqué paru ce dimanche 16 octobre. « Nous appelons à une réforme immédiate de l’architecture de restructuration de la dette souveraine. […] Toutes les catégories de créanciers doivent être contraintes à réduire le niveau d’endettement des pays du V20 afin que ceux-ci puissent mobiliser des financements pour leurs objectifs climatiques et de développement », ont-ils déclaré conjointement. Les pays du Vulnerable Twenty Group, incluant l’Afghanistan, le Bangladesh, le Costa Rica, l’Éthiopie, les Maldives, le Népal ou encore l’archipel des Tuvalu, demandent également aux institutions financières et aux pays développés de doubler leur apport financier pour l’adaptation au réchauffement climatique d’ici à 2025.
Ces dispositifs sont jugés cruciaux alors que le groupe, fondé en 2015, doit payer au moins 435 milliards de dollars de dette dans les quatre années à venir, tout en débloquant des ressources financières pour lutter contre le réchauffement climatique. En effet, les investissements « durables » du V20 devraient augmenter de 3 200 milliards de dollars par an s’il souhaite atteindre les objectifs de développement durable de l’ONU à horizon 2030 et limiter le réchauffement climatique à 2°C, rapporte le groupe dans une étude publiée cette année.
Dette et réchauffement climatique, une double peine
S’ajoutent à la balance de l’endettement les dégâts engendrés par les catastrophes naturelles. Ces dernières ont causé plus de 2 millions de décès dans le monde entre 1970 et 2019, dont 91 % sont survenus dans les pays en développement, selon l’Organisation météorologique mondiale. « Nous subissons chaque jour les pertes et les dommages liés à l’urgence climatique, et pourtant nous sommes ceux qui ont le moins contribué aux émissions [de gaz à effet de serre, nldr] », estime Mohamed Nasheed, qui avait attiré l’attention du monde entier sur son archipel de l’océan Indien, menacé de submersion, en organisant une réunion sous l’eau en 2009. Ces événements climatiques extrêmes, amenés à s’intensifier en raison du réchauffement climatique, devraient en effet coûter entre 290 et 580 milliards de dollars par an d’ici à 2030 aux pays vulnérables, selon une étude publiée en 2018 dans la revue scientifique Springer.
« En tant que gestionnaires économiques, il est clair pour nous, depuis longtemps, que le changement climatique n’est pas un défi lointain. Il a embrasé non seulement de nombreuses forêts dans le monde, mais aussi nos fragiles budgets nationaux, a fait remarquer Ken Ofori-Atta, ministre des Finances du Ghana et président actuel du V20, lors du discours de clôture du dialogue ministériel du groupe. Le changement climatique ne fait qu’aggraver les tensions budgétaires existantes, qui sont de plus en plus aiguës ». En effet, le poids de la dette des pays du V20 n’a cessé de s’alourdir ces dernières années, passant de 464 milliards de dollars en 2015 à 570 milliards en 2018, puis à 686 milliards en 2020.
Dédommagements et réparations
Estimant n’être responsable que de 5 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales, le V20 attend de la part des pays développés une aide financière à la hauteur des dégâts causés par le réchauffement climatique. « Étant donné que les pays à l’industrialisation tardive […] n’ont historiquement pas fait grand-chose pour provoquer le changement climatique, ils affirment qu’il est injuste qu’ils doivent maintenant porter le fardeau de ses effets les plus meurtriers », décrypte le média Grist, spécialisé dans l’actualité environnementale.
Lors de la COP26 organisée à Glasgow (Écosse) en novembre 2021, la notion de « responsabilité » des pays développés avait déjà largement divisé, ces derniers préférant diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre plutôt que d’allouer un budget de « dédommagement » aux pays pauvres. « La chose la plus importante que nous puissions faire est de suffisamment atténuer [les GES, nldr] pour prévenir les pertes et les dommages. Et la deuxième chose […] est d’aider les gens à s’adapter aux dommages qui sont déjà là », a ainsi rappelé l’envoyé spécial des États-Unis pour le climat, John Kerry, le mois dernier.
Si la question des réparations cristallise encore les tensions entre pays riches et pays en développement, elle a pourtant pris un nouveau tournant lorsque le Danemark a annoncé qu’il verserait 13,5 millions d’euros d’aide climatique aux nations vulnérables, en septembre 2022. Cette initiative historique, tout comme la demande du V20 de réévaluer ses dettes, feront sans aucun doute parler d’elles lors de la 27e conférence des Nations unies sur le climat, qui se tiendra en Égypte le mois prochain.
Emilie Echaroux
Usbek& Rica
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