Julien Benda l’auteur du livre la trahison des clercs, énumère ainsi les valeurs cléricales : « la justice, la vérité, la raison ». Il ajoute que ces valeurs se signalent par les trois caractères : « elles sont statiques, elles sont désintéressées, elles sont rationnelles. »
André Lwoff prix Nobel de la médecine dans son introduction au livre précité dit (« le visage de la vérité est redoutable, dit un personnage de Miguel de Unamuno, le peuple a besoin de mythes, d’illusions, le peuple a besoin d’être trompé. La vérité est quelque chose de terrible, d’insupportable, de mortel. » Ce jugement, ce dur jugement s’applique non seulement au’’ peuple’’, mais à toute catégorie d’intellectuels qui substituent le mythe et la célébration du mythe à la vérité ou à sa recherche, la dramaturgie à la pensée, les rêveries diffuses au développement logique d’une idée, et qui préfèrent au rationalisme, la foi aveugle en une doctrine qui se prétend rigoureuse alors qu’elle est pur verbalisme. La rigueur intellectuelle est la chose du monde-là moins répandue, même dans le monde de ceux qui prétendent penser.)
Au Sénégal, nous implorons notre corps social d’engendrer, les vigies des hommes et /ou des femmes ayant assez de courage et de lucidité pour défendre les valeurs cardinales et universelles. Des tenants de la boussole de l’honnêteté surtout intellectuelle. Le discours public est tyrannisé par les intérêts de tous ordres qui ne se disputent que leur bien-être, le plus souvent au détriment du peuple. Ce pauvre peuple qu’on prétend servir, alors qu’on ne fait que s’en servir pour satisfaire des besoins et des désirs personnels ou claniques. Le Sénégal, aujourd’hui, est à la recherche de ces êtres d’exception, capables de sacrifier tout confort, toute vanité, tous vœux, pour indiquer la voie droite pour dire ce qui doit être dit, pour débusquer les mauvaises fois, pour traquer l’immonde vanité, pour frustrer les mal-pensants qui se parent d’objectivité, de neutralité pour mieux tromper. Dans quel domaine du débat public trouve-t-on des hommes jouissant d’assez de crédibilité, pour dire, et être cru, des arguments délestés de tout intérêt ou objectif sous-jacent. Ces hommes-là doivent exister. S’ils n’existent pas, quelles sont les raisons de leur manque ?
La première c’est que le ‘’masla’’ qui domine de plus en plus les rapports sociaux. Ce qui veut que l’on s’arrange pour que personne ne soit fâché, il s’ensuit que l’on doive caresser tout un chacun dans le sens du poil. Ce qui exclut toute défense de la vérité.
La seconde c’est cette tendance des populations à défendre vaille que vaille leurs intérêts sectoriels ou particuliers et cela souvent au détriment de l’intérêt général dans son ignorance la plus totale.
La troisième c’est la prégnance des mythes dans l’imaginaire populaire. On s’est arrangé pour faire croire aux populations que vous osez poser un regard critique sur les faits publics d’un tel ou d’un autre, vous serez damnée et rien ne vous absoudra.
La quatrième est cet amour sans bornes pour les choses matérielles qui entraine qu’on détourne les yeux pour ne pas voir le mal qui est souvent à l’origine des fortunes ou qui les entretient quel que soit par ailleurs le niveau.
Cette énumération n’a nullement la prétention d’être exhaustive. Le clerc n’est pas impudique, il n’est pas asocial. Il n’est ni immoral ni amoral. Il n’est ni curieux, ni jaloux. Il ne postule pas au désordre. Le clerc aime soigneusement sa collectivité. Il se veut gardien du bien du juste du beau. Ce qui l’incline à défendre ces valeurs-là envers et contre tout, au prix de tous les apostats. Quitte à devenir un paria. Vivement la résurrection des clercs.
Amadou Balla Ndiaye
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