« Nous devrons nous munir de tous nos moyens pour pouvoir obtenir des consensus forts » Des moyens techniques, politiques, géopolitiques, diplomatiques, sont nécessaires pour obtenir des résultats probants C’est la conviction de Ousmane Fall Sarr, Président du Comité national sur les changements climatiques au Sénégal. Il nous a accordé un entretien en marge de l’atelier de restitution du bilan de la Cop 25, organisé le 24 décembre 2019 par le ministère de l’environnement et du développement durable. Entretien.
Quoi de vert : Pouvez –vous vous présenter à nos lecteurs et à nos internautes ?
Ousmane Fall SARR : Bonjour à tous, Je suis Ousmane Fall SARR, Président du Comité National sur les Changements Climatiques du Sénégalet par ailleurs, Directeur des Etudes et de la Planification de l’Agence Sénégalaise d’Electrification Rurale (ASER).
Qu’est-ce que le Comnacc ?
Compte tenu du caractère transversal des changements climatiques qui touchent tous les secteurs de notre économie, il a été créé par décret en 2011, le Comité National sur les Changements Climatiques (COMNACC). Le COMNACC est un organe conseil placé sous tutelle du ministère de l’environnement et du développement durable pour accompagner la mise en œuvre de la politique climatique du Sénégal.
La cop25 vient de se terminer à Madrid, quel bilan faites –vous de cette 25ieme Conférence des Parties sur les Changements Climatique(COP25) et de cet accord a minima jugé décevant par certains ?
Certains peuvent bien penser que ce qu’on a obtenu à Madrid durant la COP25 est un accord a minima, dans la mesure où il y’a eu beaucoup d’attentes non satisfaites, notamment en termes de rehaussement des ambitions, de relèvement du niveau d’engagement des pays développés par rapport à l’urgence de l’action climatique et du financement à long terme. En sus, et surtout, on voulait avoir une décision pour pouvoir boucler l’opérationnalisation de l’article 6 de l’accord de Paris. Cette dernière était notre plus grande attente par rapport à cette COP25. Malheureusement, du faites des divergences qu’on a pu constater durant les négociations, on n’a pas pu avoir le consensus sur un certain nombre de points liés à son opérationnalisation. Sur ce plan-là, nous sommes restés sur notre faim. Néanmoins, sur d’autres, on a pu constater de réels avancées qui peuvent faire l’objet de satisfaction. Je pense aux mécanismes sur les pertes et préjudices, sur l’agriculture et sur le genre, où on a pu avoir des décisions. Il faut accepter que c’est des négociations très complexes, où il y a beaucoup d’enjeux. Je pense que si on maintient cette même dynamique, à Glasgow, on pourra aboutir à quelque chose de positif concernant surtout l’article 6 de l’accord de Paris.
Peut-on aujourd’hui, considérer l’Afrique comme étant la grande perdante dans ces négociations internationales ?
C’est vrai si l’on considère le faible niveau d’émissions du continent qui tournent autour de 4% des émissions globales, on peut se dire que l’Afrique contribue très peu aux émissions de gaz à effet de serre mais ne bénéficie pas comme ça devait l’être en termes d’appui et d’accompagnement nécessaire pour faire face aux effets néfastes des changements climatiques. Nous avons essayé autant que faire se peut de sensibiliser nos paires pour qu’une considération particulière soit accordée à l’Afrique, par rapport aux différents instruments, par rapport aux différents mécanismes de la convention cadre des nations unies sur les changements climatiques. On n’a pas toujours eu gain de cause sur notamment le financement à long termes. Rien que sur l’adaptation par exemple, il y a beaucoup à faire dans ce domaine, et nous pensons que dans les COP à venir, nous devrons continuer à nous battre pour que l’Afrique puisse en bénéficier.
Quel est aujourd’hui le sentiment le mieux partagé au sein du groupe africain après la COP25 ?
C’est un sentiment de vigilance. C’est des négociations et nous savons que rien ne sera donné gratuitement, tout va être obtenu à l’arraché. Toutes les délégations africaines sont averties. Cette COP25 nous a montré que plus nous avançons dans les négociations, plus ça va être difficile. Donc il faudra que nous soyons mieux préparés, s’armer de beaucoup plus de volonté, se munir de tous les moyens technique, politique, géopolitique, diplomatique, nécessaires pour pouvoir mettre sur la table des négociations des arguments valables pour convaincre nos paires et obtenir des consensus forts. Des pays comme l’Afrique du sud sont prêts à offrir le lieu et toute la logistique nécessaire afin de permettre aux différentes délégations africaines d’avoir des séries de réunions préparatoires pour pouvoir mieux affiner leur position et préparer cette cop26. Il appartiendra à nos différents gouvernements de voir comment prendre en charge leurs délégués pour pouvoir y participer.
Que vous inspire cette déclaration du président du Groupe africain des négociateurs, l’ambassadeur Mohamed Nasr « Accorder à l’Afrique un statut spécial encouragerait le continent à maintenir la voie du développement durable.»?
Il a parfaitement raison. Malgré notre faible contribution aux émissions des gaz à effet de serre et notre forte vulnérabilité, nous sommes en train, dans nos pays respectifs, de faire beaucoup de chose en termes d’adaptation et surtout en termes d’atténuation pour pouvoir contribuer valablement à la lutte contre les changements climatiques. Une considération particulière de l’Afrique aurait pu permettre la mobilisation de beaucoup plus de financement, de beaucoup plus d’actions en termes de renforcement de capacités et de beaucoup plus de soutien pour le transfert de technologie. Ce qui nous aurait permis d’être mieux préparé pour pouvoir faire face à lutte contre les changements climatiques. C’est la raison pour laquelle, nous réclamons cette attention particulière pour l’Afrique qui est un continent qui le mérite. Malheureusement, jusqu’à présent, nous rencontrons des difficultés au niveau des négociations pour se faire comprendre.
Quels sont les principaux enjeux de la COP26 qui aura lieu à Glasgow, au Royaume- Uni en novembre 2020 et les attentes pour l’Afrique ?
A Glasgow, les enjeux tourneront autour de la finalisation de tout ce qu’on a pu entamer à Madrid et pour lesquels, beaucoup de participants ont eu un goût d’inachevé à la fin de la COP qui a était prolongé d’un jour et demi. Par exemple, en ce qui concerne l’article 6, nous pensons qu’à Glasgow, nous aurons une décision finale sur son opérationnalisation, dans le mesure où, durant les sessions intermédiaires, on aura suffisamment de temps pour pouvoir échanger sur le plan technique et trouver un compromis qui pourra nous permettre d’avoir cette décision finale. Sur le plan du financement, nous serons en 2020 ; une année charnière par rapport à la mise en œuvre de l’accord de Paris surtout en termes de mobilisation des financements. Nous espérons qu’à Glasgow, les pays développés feront preuve de plus d’engagement en termes de contribution financière pour l’action climatique ; notamment en termes de finance climat, et en termes de flexibilité et une considération spécifique au continent africain. Nous pensons pouvoir obtenir gain de cause durant la COP26 de Glasgow.
Lors de l’atelier de la restitution de la COP25, le Ministre de l’Environnement et du Développement durable a félicité les experts du Comnacc pour leur participation de qualité lors de cette Cop25. Qu’est ce que cela vous fait en tant que Président de cet organe ?
Nous remercions monsieur Abdou Karim Sall, ministre de l’environnement et du développement durable pour la confiance placée au Comnacc et surtout aux experts qui ont travaillé d’arrache-pied durant la cop25. Etant dans pratiquement toutes les thématiques de négociations il a certainement pu mesurer à sa juste valeur, au quotidien, la contribution de ces experts à ses côtés. Il faut reconnaitre que sur le plan technique, nous avons la chance d’avoir des experts de renommée internationale qui coordonnent des thématiques au niveau africain comme au niveau du G77 et qui font la satisfaction de leurs pairs en termes d’expertise technique. Il s’en est rendu compte et s’en est félicité. C’est quelque chose qui nous motive davantage pour pouvoir travailler aux côtés du ministère de l’environnement et du développement durable quand il s’agit de négocier sur les changements climatiques.
Votre mot de la fin ?
Je pense que le Comnacc devra être renforcé en termes de capacité, et de moyens pour pouvoir mieux être utile et mieux exercer ses missions en termes d’accompagnement et de conseil de la tutelle.
TÉRANGA NATURE
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