Une mauvaise nouvelle en chasse une autre. Après deux ans de pandémie, c’est l’invasion de l’Ukraine par la Russie qui survient, avec, en toile de fond, toujours, les impacts du changement climatique. Dans un monde aussi anxiogène, de plus en plus de salariés témoignent de leur difficulté à trouver du sens et de la motivation à leur travail. Quand on a l’impression que “tout s’effondre”, nos priorités changent.
Nous sommes dans l’ère de la “permacrise”, selon le terme judicieusement utilisé par le journaliste du Times, Josh Glancy. “Nous vivons, semble-t-il, dans une période de crise permanente, ricochant au hasard d’une calamité à l’autre, faisant défiler sous nos yeux angoissés un flot ininterrompu d’alertes et autres notifications Twitter, essayant de comprendre la dernière nouvelle catastrophique” écrit-il. Entre la guerre en Ukraine, la pandémie, le changement climatique ou le terrorisme, les nouvelles sont en effet de plus en plus angoissantes. Difficile pour les citoyens de gérer toutes ces émotions alors que l’Organisation mondiale de la santé note une augmentation de 25 % de la dépression et de l’anxiété dans le monde.
“Nous sommes saturés de mauvaises nouvelles. On n’arrive plus à les absorber, on devient comme les vaches qui regardent passer les trains”, ironise la psychologue Sabrina Philippe, autrice du livre “Tous fake self ! Ce monde virtuel qui nous rend faux”. “Nous sommes aujourd’hui noyés sous des informations contradictoires. La problématique est là. À 10h10, on lit un expert qui affirme que la troisième guerre mondiale est imminente. À 10h20, un autre qui nous dit que cela n’arrivera jamais. On est dans cet ascenseur émotionnel qui génère une angoisse de fond dont on n’arrive plus à se détacher”, analyse-t-elle.
“À quoi bon ?”
Et cette angoisse se traduit dans notre rapport au travail. Les témoignages de salariés affirmant ne plus arriver à se concentrer, à trouver une motivation dans leur travail se multiplient. “Déjà avec le changement climatique, je me disais “à quoi bon ?” mais maintenant avec la guerre en Ukraine j’ai juste envie d’être entourée de mes proches, de profiter d’eux, je n’ai absolument pas envie de gâcher mon temps 9h par jour derrière un bureau à faire des choses insignifiantes“, explique Clara* qui travaille dans la publicité.
“C’est vrai que les crises qui se succèdent sont angoissantes et questionnent mon rapport au travail. Comment trouver et donner du sens dans toutes les tâches du quotidien ?”, s’interroge auprès de Novethic la docteure en sciences de gestion à l’université de Lille, Élodie Juge. Cette quête de sens s’est traduite aux États-Unis par le phénomène de la Grande démission, The Great Resignation, une vague jamais atteinte de travailleurs ayant quitté leur emploi depuis le début de la pandémie de Covid-19. En France, un tel phénomène ne s’est pas produit mais le dernier baromètre d’Empreinte Humaine et Opinion Way affirme que 31 % des salariés interrogés souhaitent activement chercher un autre emploi après la crise.
L’impression que “tout peut s’effondrer”
“Il y a une différence entre l’intention et l’action”, relativisait mi-février le président d’Empreinte Humaine, Christophe Nguyen. “Mais cela signifie qu’il y a un problème. La pandémie a été longue et traumatogène. Près de 60 % des sondés ont changé leurs priorités dans la vie. Ils ont remis en question la centralité du travail”, expliquait-il. Le cas de salariés désirant se reconvertir vers des métiers qui ont plus de sens prend ainsi de l’ampleur.
“On a besoin de se reconnecter à notre ressenti”, décrypte Sabrina Philippe. C’est le cas de Michèle*, cadre dans l’informatique, pour qui les évènements actuels la poussent à entamer une reconversion dans la réparation des vélos, un métier qu’elle considère comme “utile”. La jeune génération est particulièrement affectée par ces crises permanentes. “On a l’impression de vivre dans un monde instable qui peut s’effondrer à tout moment“, résume la psychologue.
NVTC