Quelle est la valeur de la nature ? La question, controversée, fait l’objet d’une motion au congrès mondial de la nature de l’UICN à Marseille. Mais pour la forêt tropicale d’Afrique centrale, qui absorbe des tonnes de CO2 responsable du changement climatique, certains ont déjà une réponse: des millions.
Fin juin, le Gabon est ainsi devenu le premier pays du continent à recevoir des fonds internationaux pour poursuivre ses efforts contre la déforestation. Dix-sept millions de dollars, décaissés via l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (Cafi), organisme lancé en 2015 par l’ONU, qui rassemble des pays d’Afrique centrale et des bailleurs de fonds internationaux.
“Un arbre debout ne vaut rien. Si vous le coupez, il vaut quelque chose, mais pas pour la planète. Donc il faut lui donner une valeur, investir et payer pour obtenir un résultat: que les arbres soient toujours debout”, résume Carlos Manuel Rodriguez, patron du Fonds pour l’environnement mondial, organisme multilatéral de financement spécialisé.
D’autant que “sans le Gabon, il n’y aurait plus de pluie dans certaines parties d’Afrique et sans la forêt du bassin du Congo nous n’arriverons jamais à atteindre l’objectif de 1,5 degré” de réchauffement maximum fixé par l’accord de Paris sur le climat, poursuit celui qui fut ministre de l’Environnement du Costa Rica, pays connu pour sa biodiversité et son tourisme “vert”.
– Récompenser les pays –
Sauver les forêts tropicales est un objectif “extrêmement ambitieux (mais) il n’y a pas d’alternative si nous voulons éviter un changement climatique catastrophique,” abonde Bard Vegar Solhjell, directeur de l’Agence norvégienne de coopération au développement (Norad), financeur de l’opération gabonaise.
L’agence a un important programme de lutte contre la déforestation dans différentes parties du monde, à hauteur de centaines de millions de dollars.
Mais si en Indonésie ou au Brésil il s’agit de lutter contre une coupe industrielle, destinée notamment à dégager des espaces pour l’agriculture intensive, la situation est différente au Gabon: le pays a préservé l’immense majorité d’une forêt qui couvre toujours près des neuf-dixièmes de son territoire, et dans l’ensemble du bassin du Congo.
Là, “c’est la pauvreté qui est le moteur principal”, avec des populations qui pratiquent souvent une agriculture itinérante sur brûlis, ou la coupe du bois de chauffe, explique M. Solhjell, lui aussi ancien ministre de l’Environnement de son pays. “Cela crée un environnement différent pour la lutte contre la déforestation, qui doit être intégrée à la lutte contre la pauvreté”.
Donc, “il faut aussi récompenser les pays qui ont maintenu leur couverture forestière”, comme le Gabon, même si le secteur forestier représente une bonne partie de son PIB, insiste M. Rodriguez.
– “Cercle vertueux” –
Récompense bienvenue… et incitative. “Nous sommes très fiers de cette reconnaissance des efforts consentis, car le Gabon est conscient du rôle qu’il doit jouer,” se félicite Flore Koumba Pambo, conseillère scientifique à l’Agence nationale des parcs nationaux du Gabon.
“Concrètement, ce financement va nous permettre de renforcer nos efforts et alimenter d’autres projets”, comme par exemple le parc national de l’Ivindo, qui vient d’être inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, poursuit-elle, en se félicitant de l’enclenchement d’un “cercle vertueux”. Des projets de foresterie communautaire sont également concernés.
Les bailleurs insistent sur la nécessaire “transparence” et “responsabilité” des processus, notamment d’évaluation. Et “nous investissons aussi beaucoup pour aider la société civile, nous avons vu à quel point il est important de travailler avec” elle, insiste M. Solhjell.
Pour M. Rodriguez, “ce partenariat avec le Gabon est une manière d’apprendre” et un exemple à répéter si possible. Et aussi “une formidable occasion de parler du prix du carbone”, sujet très délicat qui sera notamment au menu de la COP26 en novembre. En lien avec les débats sur la valeur des “services rendus” par la nature et du financement des pays les plus pauvres face au changement climatique.
Pour le patron de l’agence norvégienne, l’exemple gabonais a la mérite de la clarté: “Nous payons les services que le Gabon rend à la région et au monde entier”.
© 2021 AFP
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