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Téranga Nature

En RDC, comment les atteintes à la biodiversité affectent les habitudes alimentaires

En RDC, comment les atteintes à la biodiversité affectent les habitudes alimentaires

Les ressources naturelles dans le monde font face à de nombreuses pressions anthropiques, avec comme impact le déclin de la biodiversité et des effets négatifs sur la sécurité alimentaire dans les pays en développement.

La République démocratique du Congo (RDC) est un pays d’Afrique centrale dont la population a été estimée à plus de 100 millions d’habitants en 2020, les trois quarts vivant sous le seuil de pauvreté. À l’instar de la plupart des pays d’Afrique centrale, la population de la RDC est fortement dépendante des ressources forestières pour sa survie, avec pour conséquence la dégradation des sols et de la végétation naturelle, mais aussi la fragmentation des habitats et la déforestation.

C’est dans ce contexte que nous avons mené, à l’École régionale postuniversitaire d’aménagement et de gestion intégrés des forêts et territoires tropicaux, une étude sur les changements dans les habitudes alimentaires dans la région de la réserve de biosphère de Luki (RBL), à l’ouest de la RDC.

Jadis prospère, cette région connaît en effet des difficultés économiques ainsi qu’une dégradation des conditions d’existence de sa population, tout ceci dans un contexte de pression démographique. Parmi les conséquences, l’exploitation excessive des ressources forestières, la perte des habitats naturels et la défaunation, qui ont engendré une transformation dans l’alimentation de la population.

Nos travaux visaient à mettre en évidence cette évolution des comportements, notamment en matière d’aliments à protéines animales au regard du caractère aléatoire de la disponibilité du gibier dont fait état la population et du coût de la vie de plus en plus cher. Mais aussi à mieux comprendre les pratiques anthropiques ayant un impact sur les habitats naturels de la faune.

Une enquête menée dans 12 villages

La population de la région de la RBL a été évaluée en 2020 à 237 000 habitants. Cette région a connu dans le passé une économie florissante liée notamment à l’exploitation forestière industrielle qui offrait de l’emploi aux populations, mais aussi à la culture du café, du cacao, du palmier à huile, de bananes et de l’hévéa.

Aujourd’hui, on y vit essentiellement de l’agriculture vivrière pratiquée par l’abattis brûlis, de la fabrication du charbon de bois, du petit élevage et de la collecte des produits forestiers non ligneux dont certains suscitent depuis peu un intérêt croissant pour la consommation par la population locale.

Nous avons mené notre enquête en janvier 2021 dans 12 villages de la RBL, en organisant 19 groupes de discussion regroupant au total 115 personnes, dont de 45 ans et plus. Nous les avons interrogées sur les nouveaux aliments consommés dans la région et sur les raisons expliquant cette évolution.

En collectant des données secondaires dans la littérature, nous avons identifié les facteurs défavorables aux habitats naturels de la faune dans la zone d’étude et ceux qui encouragent leur pérennité.

Chenilles, chats, serpents, poulets importés…

Au total, 21 nouveaux aliments ont été cités. Parmi ceux-ci, 14 proviennent de prélèvements sur le milieu naturel (formations végétales : chenilles, escargot, serpent, grenouilles, champignons lignicoles, Gnetum africanum, fougères et terres agricoles – haricot, niébé, feuilles de niébé, sésame, feuilles de patates douces, alcool à base de canne à sucre, pâte de maïs), 5 de l’importation (poulets importés, croupions de dinde, écailles de poissons séchés, poissons chinchards et cube Maggi) et 2 sont issus des animaux de l’environnement humain (chiens et chats).

Sur les 19 groupes de discussion organisés, les chenilles ont été énumérées 18 fois, les chats et les serpents 14 fois chacun, le poulet importé 10 fois, les escargots 6 fois, les chiens et les poissons chinchards 6 fois aussi. Les chiens et les chats consommés ne sont pas domestiqués mais errants.

D’après les données collectées, la plupart de ces nouveaux aliments fournissent de la protéine animale. Les légumes (feuilles de patate douce, fougère, feuilles de niébé, etc.) n’ont présenté que de faibles occurrences. Ce qui pourrait s’expliquer par l’existence dans la région de plusieurs autres légumes consommés localement.

Les adultes en première ligne

Pour les personnes ayant répondu à l’enquête, ces aliments n’étaient pas consommés auparavant pour plusieurs raisons : la faune giboyeuse, la présence de nombreux poissons dans les rivières de la zone d’étude, une économie florissante liée à l’existence dans la région, de plusieurs entreprises d’exploitations agricoles.

Tout cela contribuait à la circulation de la monnaie et à un niveau de revenu plus rassurant. Ce qui leur permettait de diversifier leur source de protéines animales (consommation des poissons en provenance du fleuve Congo et du poisson salé vendu par les Portugais issu d’Angola), de réaliser de faibles prélèvements dans le milieu naturel et de se constituer des greniers de grains et de tubercules. Ont aussi été évoquées la prospérité économique de la région dans son ensemble et l’existence des routes praticables favorisant l’écoulement facile des produits agricoles.

D’après les informations recueillies, le changement de comportement alimentaire affecte majoritairement des personnes entre 20 et 50 ans, avec un âge moyen autour de 35 ans. La consommation de ces aliments, et spécialement des chenilles, a également été signalée chez les enfants, quand les personnes âgées sont les moins concernées. La forte implication des jeunes démontre leur aptitude à s’adapter face aux changements socio-environnementaux.

Des changements depuis les années 1980

Cette évolution des habitudes alimentaires a été observée entre 1979 et 2006. Accentué à partir de la décennie 1990, le phénomène se serait amplifié en 2006, au regard du nombre de réponses attribuées aux années de cette période par les interviewés.

Pour le comprendre, il faut savoir que la période 1979-1987 s’est caractérisée par des événements climatiques, notamment la sécheresse, avec un impact négatif sur la production agricole. La décennie 1990-2000 a ensuite été marquée par le début d’une crise sociopolitique et économique dans le pays.

L’afflux massif des populations issues d’autres régions et l’accès plus facile aux médias d’information, en opérant un brassage des cultures, ont également joué.

Comprendre l’origine des dégradations

Plusieurs études menées spécifiquement dans cette région décrivent les facteurs de la perte des ressources naturelles et précisent aussi les actions entreprises afin d’y remédier.

Parmi les raisons citées : le déficit de gouvernance mettant en exergue les conflits de compétence entre les gestionnaires de la réserve, la non-implication de la population riveraine dans un processus de gestion participative, les revendications du territoire foncier par la population locale et l’utilisation de la réserve pour des stratégies politiques.

D’autres études évoquent la forte anthropisation, marquée par les changements d’occupation des sols et la déforestation qui serait sous-tendue par une gouvernance non aboutie et la pauvreté]. Les modifications du climat local expliquent aussi cette perte de couverture forestière dans un contexte où les paysans ont une capacité limitée à détecter et s’adapter à certains phénomènes climatiques.

Entre 2002 et 2020, les températures à la surface du sol ont augmenté de 4,03 °C, 4,74 °C, 3,3 °C, 1,49 °C à Tsumba Kituti, Kisavu, Kimbuya, Kiobo respectivement, des villages de la réserve.

La dégradation de l’habitat de la faune sauvage est perceptible. Celle de Luki et de ses environs est ainsi dominée par des rongeurs, considérés ici comme étant un bio-indicateur de l’anthropisation du milieu. Cela justifierait la rareté du gibier déclaré dans les groupes de discussion et l’adoption des comportements alimentaires nouveaux face à la recherche de la protéine animale. Les rongeurs font partie des espèces de la faune les plus chassées.

Des pistes pour restaurer la biodiversité

Face à la perte de la biodiversité dans la région, de nombreux appuis ont été apportés depuis 2004. Ceux-ci ont permis la mise en place d’activités de restauration et d’alternatives à l’utilisation des ressources forestières. Il s’agit, entre autres, de reboisement et d’agroforesterie, de régénération naturelle assistée ou de l’installation des fermes modèles au sein desquelles les pratiques de sédentarisation agricole sont promues. Un accent particulier est mis sur l’apiculture dans les jachères apicoles en raison du potentiel mellifère de la région de la RBL.

Les activités de restauration des aires dégradées de la région de RBL se font par le biais de paiements pour services environnementaux. Ce qui a permis à ce jour d’installer autour de la réserve, une superficie d’environ 8 000 hectares de forêts en régénération naturelle, soit à peu près le tiers de la superficie totale de la réserve, celle-ci étant de 33 811 hectares. La région de la RBL pourrait donc être un modèle à dupliquer à l’échelle du pays, mais aussi à prendre en compte dans un processus de crédit carbone.

Ces initiatives lancées par les ONG avec l’appui financier des bailleurs de fonds sont encourageantes mais insuffisantes. Afin d’atteindre l’objectif de conservation de la RBL, il faudrait également amorcer des mesures qui mettent l’accent sur l’éducation, l’emploi des jeunes, la prise en compte du savoir local par projets, la planification des naissances et la mise en œuvre d’un plan d’aménagement avec des actions en faveur des communautés locales.

Il s’agirait aussi d’intégrer la nourriture issue des prélèvements sur la nature (chenilles, escargots, etc.) dans les mesures de gestion pour la lutte contre l’insécurité alimentaire, mais également de développer la sensibilisation aux risques de maladies zoonotiques.

Ernestine Lonpi Tipi

PhD candidate, research assistant, ERAIFT

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