“C’est le serpent qui se mord la queue”. L’Inde, qui subit une vague de chaleur historique liée au changement climatique, va augmenter sa production de charbon à des niveaux records. Entre les restrictions liées au Covid-19, les problèmes de logistique et une demande qui explose… l’approvisionnement ne suit plus. Aujourd’hui le charbon représente 70 % de la production électrique du pays.
“L’Inde brûle”, disait à la fin du mois d’avril Chandra Bhusha, un des plus grands experts de l’environnement et du changement climatique en Inde. Plus d’une semaine plus tard, le pays et son voisin le Pakistan, connaissent enfin une accalmie après une vague de chaleur historique et des températures avoisinant les 50°C dans certaines localités. “Cette vague de chaleur teste les limites de la capacité de survie humaine”, prévient Chandhi Singh, une des autrices du GIEC, les experts de l’ONU sur le climat. Mais le répit sera bref en pleine saison de printemps. Les météorologistes prévoient une hausse des températures à partir du jeudi 5 mai. Alors que la chaleur accable les millions d’habitants, la situation énergétique est particulièrement inquiétante.
Les mois de mars et d’avril exceptionnellement chauds ont fait grimper la demande énergétique, si bien que les centrales électriques manquent à présent de charbon pour répondre aux besoins. Plusieurs villes pakistanaises ont ainsi subi jusqu’à huit heures de coupure de courant par jour, tandis que des zones rurales enregistraient des délestages la moitié de la journée.
Une mesure à contre-courant des recommandations du GIEC
Dans la mégalopole indienne de New Delhi, où la température a atteint 43,5°C vendredi 29 avril, les autorités estimaient qu’il reste “moins d’un jour de charbon” en stock dans de nombreuses centrales électriques. “La situation dans toute l’Inde est désastreuse”, selon Arvind Kejriwal, ministre en chef de Delhi. Alors que le charbon représente 70 % de la production électrique du pays, l’Inde a décidé d’augmenter sa production et ses importations de ce combustible fossile particulièrement émetteur de gaz à effet de serre.
“C’est le serpent qui se mord la queue”, analyse Thibault Laconde, ingénieur spécialiste des risques climat et fondateur du cabinet Callendar. En relançant à plein le charbon, l’Inde participe ainsi directement au changement climatique qui lui-même génère des vagues de chaleur extrêmes. Une mesure à contre-courant de ce que préconise de nombreux spécialistes, c’est-à-dire une réduction rapide et radicale es émissions de gaz à effet de serre dans les tous les secteurs.
“L’Inde joue avec les cartes qu’elle a en main à l’instant T”
“Ce n’est pas au moment où l’on subit une vague de chaleur que l’on va repenser notre système énergétique”, nuance Thibault Laconde, “L’Inde joue avec les cartes qu’elle a en main à l’instant T. Il faut reconnaître cette situation-là, cela ne sert à rien de stigmatiser un pays”, explique-t-il. D’autant que “la crise climatique actuelle n’est pas due à l’industrialisation de l’Inde mais à l’industrialisation occidentale de ces 15 dernières années”, note Harjeet Singh, un expert du climat qui milite pour un traité de non-prolifération des combustibles fossiles.
En attendant, les réserves de charbon diminuent et la relance ne va pas répondre aux demandes à court terme. Selon l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis, les stocks de charbon ont chuté de 14 % depuis début avril. Et les vagues de chaleur ne sont que la goutte d’eau. Plusieurs raisons viennent expliquer ces difficultés comme le redémarrage économique post Covid-19, les potentiels troubles d’importations russes, les perturbations logistiques…
“A court terme il faut améliorer l’efficacité énergétique des climatiseurs et miser sur la rénovation des bâtiments notamment”, préconise Thibault Laconde qui rappelle que les pays du Sud ne sont pas les seuls touchés. “Qui aurait pu penser qu’un dôme de chaleur allait se former en Amérique du Nord à l’été 2021 ? Et on ne peut pas dire qu’ils étaient mieux préparés… “, conclut-il.
NVTC