Dans un contexte post-Brexit, Shell quitte le Pays-Bas pour le Royaume-Uni. Alors que la major pétrolière a été condamnée par un tribunal néerlandais à prendre des mesures pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, le timing pose question. Certains spécialistes pointent surtout le risque que Shell échappe ainsi aux nouvelles réglementations européennes visant à responsabiliser les entreprises. À moins que la fiscalité sur les dividendes ne soit la raison principale…
C’est un choc pour le gouvernement néerlandais. Un des fleurons des Pays-Bas, la major pétrolière Royal Dutch Shell, veut déménager son siège social et sa localisation fiscale à Londres. Le coup est d’autant plus douloureux pour La Haye que le groupe va proposer à ses actionnaires, le 10 décembre, lors de sa prochaine Assemblée générale de se renommer Shell Plc, renonçant à Dutch, une référence directe à sa patrie. Officiellement, le géant des hydrocarbures évoque un désir de simplification en transférant sa résidence fiscale au Royaume-Uni. Sur les réseaux sociaux, on relève surtout le timing de cette prise de décision. “Au printemps, des juges hollandais avaient condamné Shell à décarboner plus rapidement. Du coup Shell se délocalise en Grande-Bretagne”, pointe le directeur général de Toulouse School of Economics, Christian Gollier.
En mai dernier, un tribunal néerlandais a en effet condamné le pétrolier à réduire ses émissions de CO2 de 45 % d’ici 2030. Un jugement “historique” pour lequel la firme a fait appel. Est-ce pour échapper à cette justice climatique que Shell décide de quitter les Pays-Bas ? Milieudefensie, la branche des Amis de la Terre aux Pays-Bas, à l’origine de l’action en justice, n’y croit pas. “Cette nouvelle n’a pas de conséquences négatives pour ce dossier“, a déclaré Peer De Rijk, l’un des militants. D’autant que sur le fond, la condamnation concerne les émissions mondiales de Shell et non pas celles émises seulement aux Pays-Bas. “Cela ne modifie rien”, abonde François de Cambiaire, avocat associé chez Seattle Avocats. Les inquiétudes du spécialiste se portent plutôt sur un autre sujet : la réglementation européenne alors que le Royaume-Uni a quitté l’Union il y a peu.
Échapper aux réglementations européennes
L’Europe prépare deux gros chantiers visant à responsabiliser les entreprises. D’abord, une directive sur le reporting des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), appelée CSRD pour Corporate Sustainability Reporting Directive, dont le but est de renforcer la transparence des entreprises sur les enjeux de durabilité. Ensuite, elle s’active sur la mise en place d’un devoir de vigilance obligeant les entreprises multinationales à assurer une activité de production respectueuse des droits humains et de l’environnement sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. Deux réglementations auxquelles Shell pourrait échapper en partant en Grande-Bretagne, craint Justice Ripoll de Notre Affaire à tous.
“Cela pourrait avoir un impact concernant l’applicabilité de futures directives européennes dans un contexte post-Brexit”, avance-t-elle. “La question de pose également sur l’objectif de neutralité carbone de l’Union européenne en 2050”, ajoute François Cambiaire. Certes le Royaume-Uni possède un “duty of care”, qui a posé les bases du devoir de vigilance, et travaille, lui aussi, à un dispositif équivalent à la CSRD mais les ONG et spécialistes s’inquiètent d’un possible “dumping environnemental”.
Autre sujet de tension : la fiscalité et la taxation des dividendes. Alors que les Pays-Bas sont régulièrement taxés de paradis fiscaux, le gouvernement a mis en place une taxe de 15 % sur les dividendes qui déplaît à Shell. Selon le Financial Times, le gouvernement a lancé une tentative de dernière minute pour l’abolir et ainsi retenir Shell sous le pavillon néerlandais. En 2020, c’est le groupe agroalimentaire anglo-néerlandais Unilever qui a fait le choix de partir de La Haye pour rejoindre Londres.
NVTC
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