Dans nombre de métropoles mondiales, à l’image de Paris ou de Montréal – qui s’est engagée dans un ambitieux programme de plantation de 500 000 arbres au cours de la décennie 2021-30 –, les forêts urbaines tentent de pousser… plus ou moins facilement !
Ces projets de végétalisation urbaine suscitent d’intenses débats qui traduisent des perceptions différentes et des ambiguïtés sur la définition de ce qu’est la « forêt urbaine ».
Une « forêt urbaine », qu’est-ce que c’est ?
Si l’on retient la définition de la FAO en 2017, une forêt urbaine, c’est :
« Un réseau ou un système incluant toutes les surfaces boisées, les groupes d’arbres et les arbres individuels se trouvant en zone urbaine et périurbaine, y compris, donc, les forêts, les arbres des rues, les arbres des parcs et des jardins, et les arbres d’endroits abandonnés. »
Cette définition correspond au concept de « urban forest » utilisé dans les pays anglo-saxons, par exemple en Nouvelle-Zélande dans l’ouvrage de M.D. Wilcox paru en 2012, Auckland’s Remarkable Urban Forest, qui y intègre tous les arbres présents dans cette agglomération.
Les différents types de peuplements ligneux urbains
On peut distinguer différentes catégories de communautés ligneuses urbaines constitutives d’une telle « forêt urbaine », en fonction de leur ancienneté, étendue, structure et composition.
● Les milieux forestiers relictuels
Ce sont des reliquats de forêts anciennes d’étendue variable (plusieurs hectares, parfois dizaines ou centaines d’hectares), qui ont été préservées en centre-ville ou, le plus souvent, en périphérie. Ils peuvent être relativement anthropisés, dégradés et fragmentés, comme les bois de Vincennes (995 ha) et de Boulogne (846 ha) à Paris, ou au contraire relativement bien conservés et d’intérêt patrimonial reconnu, à l’image de la forêt alluviale de Neuhof-Illkirch (945 ha) à Strasbourg, classée en Réserve naturelle nationale.
● Des plantations ligneuses linéaires
Elles correspondent à des alignements d’arbres dans les rues ou les avenues, pouvant être plus ou moins serrés et denses – jusqu’à six rangées parallèles d’arbres sur certaines portions des boulevards Saint-Jacques ou Pasteur à Paris ; ces « plantations linéaires » peuvent aussi être adossées à des murs ou des bâtiments, voire correspondre à de réelles ripisylves en bordure de rivières ou de fleuves traversant les villes.
● Les plantations ligneuses surfaciques plus ou moins étendues et denses
On les voit dans des parcs urbains de loisir (par exemple les 1 300 arbres sur 15 ha, soit une densité de 87 arbres/ha, dans le parc Montsouris à Paris) ou dans des cimetières (les 3 950 arbres sur 45 ha – soit une densité de 88 arbres/ha – du cimetière du Père-Lachaise à Paris) ou de grandes places ou parkings, comportant éventuellement des parties plus denses et d’autres, plus ouvertes.
Des renforcements de plantations ligneuses sur certaines places, à l’image de ce qui est proposé par l’Agence d’urbanisme de l’agglomération de Tours, peuvent permettre d’accroître les densités de canopée et les services écosystémiques associés. À Paris, cela pourrait être réalisé par exemple au parc du Champ-de-Mars dans le cadre de l’aménagement prévu du site de la Tour Eifel après les Jeux olympiques et paralympiques de 2024.
● Les micropeuplements ligneux denses
Résultant de plantations sur de petites surfaces, de l’ordre de quelques dizaines, centaines ou milliers de m2, ils peuvent correspondre à des bosquets dans des squares ou sur des places de villes, voire au milieu d’habitations ou même au sein d’un hôpital.
• Les arbres isolés et groupes d’arbres
Il s’agit souvent d’arbres remarquables par leur âge, leur histoire, leur identité (espèce ou variété), leur architecture et/ou localisation ; on les trouve sur des places publiques ou dans des espaces privés.
● Les friches ligneuses
Elles résultent d’une recolonisation spontanée par des essences souvent exotiques envahissantes (robinier faux-acacia et ailante) mais également indigènes (érable sycomore par exemple), sur des terrains de superficie variable laissés à l’abandon depuis des décennies ; on pense aux talus encaissés de la petite ceinture parisienne.
Les nouvelles formes de plantations urbaines
Les projets de création de quelques grandes « forêts urbaines » par la ville de Paris sur des superficies de plusieurs milliers de m2 s’apparentent aux plantations ligneuses surfaciques.
Elles constituent des opérations phares, d’intérêt esthétique et emblématique, mais ne représentent toutefois qu’un élément relativement modeste en nombres d’arbres ou surfaces concernées (par exemple, la plantation prévue de 2000 arbres sur environ 1 ha pour le projet de la tour Montparnasse) par rapport à l’ensemble de la canopée urbaine.
Les « microforêts Miyawaki », très en vogue actuellement, sont à rattacher aux micropeuplements denses. Elles peuvent répondre à une opportunité de plantation dense sur de petits espaces, comme les talus du boulevard périphérique à Paris ou des espaces délaissés, voire la restauration ligneuse d’espaces minéralisés.
Le grand nombre de plants ligneux introduits (de l’ordre de 3 au m2, soit 3000 pour une microforêt de 1000 m2) est souvent mis en avant, mais il est certain que la densité initiale de ces plantations sera fortement réduite par la sélection naturelle au cours de la croissance du peuplement.
Miser sur la complémentarité et la continuité
Ces différentes catégories de peuplements arborescents sont bien complémentaires les unes des autres au niveau des services écosystémiques rendus ; toutes contribuent à la richesse et la résilience de la « forêt urbaine » globale.
La strate arborescente est parfois accompagnée par des strates arbustives et herbacées, plus ou moins fournies selon les catégories et les situations ; ces strates inférieures mériteraient et pourraient souvent être bien davantage développées pour favoriser la biodiversité.
Cette « forêt urbaine » peut être constituée d’essences indigènes dans le territoire concerné et/ou d’essences exotiques introduites, qui sont parfois mieux adaptées aux conditions édaphiques, biotiques, sanitaires et surtout climatiques de l’agglomération considérée. Des expérimentations préalables en arboretums, jardins botaniques ou parcs urbains doivent permettre de s’en assurer.
Les liaisons spatiales et complémentarités fonctionnelles de tous ces ensembles ligneux, quelles que soient leurs catégories, doivent permettre d’assurer la continuité écologique de la strate arborescente et des strates inférieures dans la ville, ainsi que leurs connexions avec les forêts périphériques.
Il apparaît donc plus que jamais souhaitable de multiplier les plantations ligneuses dans les villes au cours des prochaines décennies afin de constituer une trame boisée aussi continue que possible, nécessaire à la diffusion et à l’enrichissement de la biodiversité urbaine, à l’atténuation des canicules citadines ainsi qu’à la contribution à l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050.
Professeur émérite, chercheur à l’Institut de systématique, évolution,
biodiversité (UMR 7205 ISYEB, CNRS, MNHN, SU, EPHE), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
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