Une équipe de chercheurs américains de l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT), vient de montrer que la couleur de l’océan révélée par satellite pourrait être utilisée comme signature du changement climatique
Tout le monde connaît ces images de tourbillons de bleus et de verts qui parent les océans du monde vus du ciel. Ces formes et couleurs étonnantes sont liées à la présence de milliards de plantes microscopiques, regroupées sous le nom de phytoplancton. L’activité de ces organismes varie selon les conditions ambiantes : ensoleillement, température, courants… avec une incidence directe sur leur aspect vu du ciel.
Nous allons voir ici comment les chercheurs mettent en relation cette activité avec le changement climatique.
Le phytoplancton, puissant émetteur d’oxygène
Les océans sont peuplés d’organismes qui dérivent au gré des courants et qui forment ce que l’on appelle le plancton marin. Tout comme les plantes terrestres, certains de ces organismes réalisent la photosynthèse : grâce à l’énergie lumineuse, ils sont capables de transformer le carbone inorganique (et en particulier le dioxyde de carbone, CO2, présent dans l’atmosphère) en matière organique et en oxygène.
Ce plancton « végétal », ou phytoplancton, est ainsi responsable de la production de près de la moitié de l’oxygène que nous respirons. Il joue ainsi un rôle central dans les flux de carbone à l’échelle globale, et par conséquent dans la régulation du climat de notre planète. Son autre grand rôle est bien sûr d’approvisionner en nourriture l’ensemble des réseaux alimentaires marins et les pêcheries.
La couleur du phytoplancton, principalement constitué de microalgues unicellulaires, reflète son contenu pigmentaire. Ainsi, une forte teneur en chlorophylle lui confère une couleur verte, tout comme celle contenue dans les feuilles des plantes terrestres.
Cependant, la composition pigmentaire varie d’un groupe d’organismes à un autre. Ainsi certaines sont plutôt brunes (comme les diatomées) alors que d’autres sont plutôt vert bleuté (comme les cyanobactéries) ou encore rouge orangé (comme certains dinoflagellés toxiques). Enfin, certaines d’entre elles fabriquent également des structures calcifiées (comme les coccolithophores, à l’origine des gisements calcaires) ce qui leur confère une couleur plus blanchâtre.
Le phytoplancton pisté par satellite
Une manière d’étudier la dynamique du phytoplancton marin à grande échelle repose sur l’utilisation de satellites en rotation autour de la terre, qui mesurent la proportion de lumière que la surface de l’océan renvoie vers l’espace, appelée réflectance. Vue de l’espace, notre planète semble bleue car elle est recouverte à 70 % d’eau, et les molécules d’eau ont tendance à absorber la partie rouge du spectre lumineux et à renvoyer la partie bleue.
En effet, la couleur, qu’elle soit perçue par l’œil humain ou par un satellite, dépend des longueurs d’onde qui composent la lumière. Ainsi, les microalgues qui présentent une forte teneur en chlorophylle absorbent les parties bleues et oranges/rouges du spectre lumineux et renvoient une lumière verte que nos yeux peuvent percevoir. Lorsque ces microalgues sont très abondantes, leur présence est également visible depuis l’espace.
Grâce à des algorithmes spécifiques, la couleur des océans, et en particulier la réflectance mesurée à la surface des océans par les satellites, permet d’estimer la concentration en chlorophylle et d’en déduire des estimations de la production primaire par le phytoplancton marin.
Les propriétés optiques des océans simulées
Les chercheurs du MIT signataires de l’étude ont développé un modèle couplant physique, biogéochimie et écologie, capable de simuler à la fois les propriétés physiques de l’océan (courants, température), les flux de matière (carbone, oxygène, nutriments), et la dynamique des communautés planctoniques (dont la croissance de plusieurs types de phytoplancton, comme les diatomées, les cyanobactéries, ou les coccolithophores). Ce modèle a été utilisé pour simuler les propriétés optiques des océans à l’échelle globale.
En confrontant la concentration en chlorophylle et la réflectance simulées par leur modèle aux données satellites du projet Ocean Colour Climate Change Initiative (OC-CCI), l’équipe a montré que leur modèle était capable de simuler correctement la réflectance et la couleur de l’eau mesurées actuellement à la surface des océans par satellite. Ces chercheurs ont aussi montré que leur modèle était capable de reproduire la variabilité des données observées par satellite.
Grâce à leur modèle, ces chercheurs ont ensuite testé l’impact du changement climatique sur les propriétés optiques de l’océan, et en particulier sur la réflectance. Pour cela, ils se sont basés sur le scénario climatique RCP8.5 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, ou IPCC en anglais). Ce scénario correspond au cas où les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter en suivant leur trajectoire actuelle.
Il s’agit donc d’un scénario pessimiste, mais réaliste. Il prévoit une augmentation moyenne de 3 °C de la température à la surface des océans d’ici 2100, avec une diminution de la concentration en phytoplancton et de la production primaire dans la plupart des océans du globe, mais surtout d’importants remaniements parmi ces populations.
En effet, même si l’augmentation du taux de CO2 peut favoriser la croissance du phytoplancton dans certaines zones du globe, l’augmentation de la température conduit à un océan plus « stratifié », avec des eaux chaudes en surface qui se mélangeront moins avec les eaux froides des profondeurs, riches en nutriments (contrairement à la surface). Les communautés de phytoplancton, disposant alors de moins de nutriments, seront alors fortement perturbées.
En estimant la couleur réelle de l’océan à l’horizon 2100, cette étude indique que la couleur de l’océan va changer en réponse au changement climatique, et que le signal le plus fort sera décelable en observant les longueurs d’onde dans la partie bleu vert du spectre lumineux. En effet, l’impact du changement climatique sur les communautés phytoplanctoniques qui peuplent l’océan se traduira plus rapidement par des modifications de la composition de ces communautés que par des modifications de la concentration en chlorophylle.
En conséquence, les algorithmes actuellement utilisés pour estimer la chlorophylle océanique à partir des données satellites risquent de ne plus être valables d’ici la fin du siècle ! Ces travaux suggèrent que ces algorithmes devront donc continuellement être mis à jour et calibrés à partir des données de terrain, mais aussi que les algorithmes qui prennent en compte à la fois la chlorophylle, la teneur en particules, et en matière organique dissoute à la surface des océans, seraient les plus performants.
Une première étude qui ouvre de nouvelles pistes
Bien que ces résultats soient principalement issus de modèles qui, par définition, ne représentent qu’une version simplifiée de la réalité, ils sont corroborés par les observations actuelles. Cette étude est ainsi la première à étudier à l’échelle globale l’impact du changement climatique sur les propriétés optiques des océans en prenant en compte la dynamique des communautés de phytoplancton marin.
Elle permet également de dégager plusieurs zones d’intérêt pour observer la réponse des océans et du plancton marin au changement climatique, aussi bien à travers le maintien et l’amélioration des méthodes d’observation par satellite de la couleur des océans, que par l’observation à long terme des communautés planctoniques in situ.
Sakina-Dorothée Ayata : Maître de conférences en écologie marine, Sorbonne Université
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