«Dans cette plage agressée, 13 canaux ou émissaires pollueurs se déversent dans la mer nuit et jour».
Il est 10 h. Sous l’influence du vent, des pirogues et des yachts flottent sur les quais. Une odeur anormale de bord de plage, celle du rejet des produits chimiques, en décomposition du canal 6 de Colobane. Des déchets plastiques longent la côte. Une mer loin de son aspect bleu, couverte d’eaux résiduaires. La baie de Hann souffre d’impuretés.
«La dégradation de ce milieu ne peut pas continuer», c’est l’avis de cet homme de 59 ans. Sous l’ombre d’un des rares arbres de la côte, il maille son filet pour une nouvelle odyssée en mer. Sam Diop est pêcheur dans le village de Yarakh depuis son enfance.
«Avec nos filets mballe law, on pêchait nos poissons à 300, voire 450 m. Des poissons comme le saca, le kong, le sompate «…» grâce à la belle plage que la baie représentait. En tant que pêcheur, je reste persuadé que les produits toxiques ont contribué à cent pour cent à leur disparition. Nous ne pouvons même plus satisfaire nos besoins journaliers», déplore-t-il.
Et de poursuivre : «La baie était la plus belle plage de l’Afrique de l’Ouest. L’eau était claire. Je me rappelle, on jouait au foot pieds nus sur le sable blanc, sans crainte d’objets pointus. On se roulait sur le sable comme on voulait. Les crabes marchaient sur la plage. Sous le soleil sortait, leurs yeux brillaient, on dirait des perles. Mais maintenant l’ambiance est polluée. L’air marin est toxique. Les cocotiers ont disparu. Hann avait la réputation de ses jolis cocotiers.»
Ivre de colère, il pointe du doigt les entreprises environnantes. Et propose que les habitants de Yarakh adoptent la démarche des habitants de Cambérène. «Pourquoi ne pas faire comme ceux de Cambérène et prendre des mesures radicales. Les pêcheurs doivent se réunir, car s’en est trop ! Les usines responsables n’en ont cure. Les déchets ménagers n’en sont pour rien et sont faciles à maîtriser. Elles veulent nous détruire, ces industries. Un jour, en allant à Dakar, l’embouteillage m’a poussé à prendre le raccourci du canal qui sort à Colobane. J’ai vu une dizaine de camions de vidanges déverser leur contenu dans le canal, sans compter les branchements d’usine et ordures qui finissent leur parcours dans la mer de Yarakh. Les camions payent à l’Etat pour le déversement. Il faut une solution concertée. Et pourquoi pas le détournement du canal. Rendez-vous compte, pendant les périodes de chaleur, nos enfants se baignent dans la mer. Et on ne peut pas se baigner sans avaler de l’eau. Nous sommes conscients des risques. Mais c’est tout ce que nous connaissons. C’est une misère pour notre environnement. La gestion des poubelles relève de la responsabilité de la mairie. Elle fait son travail, malgré tout».
Donnant l’exemple d’un homme qui a subi les rejets Sam DIOP explique : «Je ne te parle même pas de l’ammoniac ou de l’acide. Mais récemment Un homme en provenance des HLM, disparu pendant trois jours, a été retrouvé en pleine décomposition. Sortie par les sapeurs-pompiers, l’autopsie a démontré que c’est l’odeur toxique qui a eu raison de lui.»
Son espoir d’une solution définitive réside dans les 33 milliards que l’Etat a décidé de consacrer à la baie de Hann, avec le ministre de l’Ecologie. «De la baie de Hann à la Casamance, Ali Haïdar s’est toujours engagé à nos côtés. Sur toute la côte, il a fait des actions dans le domaine de la salubrité. Il fait partie des décideurs maintenant, donc la balle est dans son camp. Et des personnes comme Boy Mbacké Seck, Abdou Karim Ndiaye et les autres en activité au niveau de la mairie, pourront aussi apporter du nouveau».
Même son de cloche Chez Amy Faye, femme transformatrice de produits halieutiques. «La mère de nos soucis reste le canal. Il a fait fuir tous les poissons. L’eau est polluée. La plage est sale. Alors que les poissons ne peuvent se reproduire que dans un milieu sain. La pêche est notre principale activité. Si on perd la baie, nous perdons notre gagne-pain».
Hier une mer poissonneuse, aujourd’hui un site pollué. En l’espace de dix ans, ce réceptacle naturel s’est transformé en déchetteries . Victime de mauvais traitements, la poche résiste. Conscientes de l’intensification de l’activité industrielle, les populations de Yarakh ne demandent qu’une chose : que la «baie soit un atout, mais pas un égout».
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