La guerre en Ukraine met en avant la trop forte dépendance de l’Union européenne au gaz russe, mais plus largement aux énergies fossiles alors que le continent est engagé dans la neutralité carbone. Du côté des majors pétrolières et gazières, la tendance est la même malgré des annonces régulières concernant les investissements bas-carbone. Deux rapports viennent démontrer le “greenwashing” pratiqué par ces entreprises aussi bien en Europe qu’aux États-Unis.
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine va-t-il permettre à l’Union européenne, largement dépendante du gaz russe, de se sevrer enfin des énergies fossiles afin de se placer véritablement sur une trajectoire de décarbonation ? Rien n’est moins sûr. Et sans signal politique, les majors pétrolières et gazières ne bousculent leurs stratégies qu’à la marge. En voici un exemple concret.
“TotalEnergies va augmenter ses investissements dans les renouvelables et l’électricité”, a ainsi annoncé son PDG, Patrick Pouyanné, en début d’année. “L’année dernière c’était 3 milliards (de dollars), en 2022 ce sera 3,5 milliards plus ou moins” qui seront investis essentiellement dans les renouvelables (éoliens, solaires) mais aussi plus généralement dans l’électricité, activité qui inclut les centrales à gaz.
Cette annonce peut paraître réjouissante de premier abord, mais il faut la replacer dans son contexte. À savoir que parallèlement à cet “effort”, la multinationale, qui affiche pour 2021 un bénéfice record de 14 milliards d’euros, va continuer de consacrer 75 % de ses investissements aux énergies fossiles, de façon totalement “assumée”.
Selon une étude de Reclaim Finance, publiée le 23 février, TotalEnergies est le plus gros développeur de nouveaux projets pétroliers et gaziers en phase d’évaluation ou de développement parmi les majors européennes, et le septième au niveau global. C’est aussi lui qui prévoit la plus forte augmentation de sa production d’hydrocarbures : + 43 % d’ici 2030, par rapport à 2016.
Les nouveaux projets d’hydrocarbures continuent
Mais TotalEnergies ne fait pas exception, loin de là. L’étude, qui analyse aussi les plans climat de Shell, BP, Eni, Equinor et Repsol – souvent considérées comme les “best in class” du secteur des énergies fossiles – montre que toutes continuent d’investir dans l’ouverture de nouveaux projets d’hydrocarbures et que toutes auront consommé l’intégralité de leur budget carbone 2050 respectif dans un scénario 1,5°C entre 2033 et 2035. Avec 15 à 17 années d’avance !
À l’exception de Repsol, depuis 2016, ces majors ont accru leur production d’hydrocarbures. Au-delà de 2024, leurs niveaux resteront très élevés jusqu’en 2030, si bien qu’à cet horizon, les énergies fossiles représenteront toujours l’essentiel du mix énergétique de ces six entreprises, avec 15 fois plus de pétrole et de gaz que d’énergies renouvelables pour ENI et Equinor. Car malgré des investissements croissants dans les énergies renouvelables, les majors prévoient de consacrer pas moins de 60 à 90 % de leurs capacités d’investissement au pétrole et gaz.
“L’habit ne fait pas le moine et il ne suffit pas d’affubler leurs stratégies de développement du mot climat pour les transformer en plan de transition”, réagit Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance. Ce greenwashing de la part des compagnies pétrolières et gazières est régulièrement dénoncé. Il vient de faire l’objet d’une étude scientifique indépendante publiée dans la revue Plos One. “Jusqu’à ce que les actions et les comportements d’investissement soient alignés sur le discours, les accusations de greenwashing semblent fondées“, ont conclu les chercheurs.
Seuls 4% des investissements dédiés aux énergies bas-carbone
Leur analyse, qui porte sur ExxonMobil, Chevron, BP et Shell, a révélé une forte augmentation des mentions “climat”, “bas carbone” et “transition” dans les rapports annuels ces dernières années, en particulier pour Shell et BP, et des promesses d’action croissantes dans les stratégies. Par exemple, l’utilisation par BP du terme “changement climatique” est passée de 22 à 326 mentions entre 2008 et 2020. Mais les actions concrètes sont rares.
“L’analyse financière révèle une dépendance continue du modèle économique aux combustibles fossiles ainsi que des dépenses insignifiantes et opaques pour les énergies propres“, ont noté chercheurs. Ainsi, moins de 1 % des dépenses en capital au cours de cette période ont été consacrées à des investissements à faible émission de carbone. ExxonMobil et Chevron ont alloué la part la plus faible de leurs dépenses aux énergies renouvelables – seulement 0,2 % chacune – tandis que BP avait dépassé les autres avec 2,3 %, suivi de Shell avec 1,3 %.
Au niveau mondial, si les investissements dans les énergies propres ont triplé, ils ne représentent que 4 % du total contre 96 % pour les énergies fossiles. En mai dernier, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) avait affirmé qu’il ne pouvait y avoir de nouveaux développements de combustibles fossiles si le monde devait atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
NVTC
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