Géants de l’internet, du pétrole ou de l’agroalimentaire multiplient les promesses de réduire leur empreinte environnementale et de s’adapter à une économie bas-carbone. Mais nombre de ces annonces relèvent du greenwashing, mettent en garde les experts.
A Davos, où sont réunis cette semaine entrepreneurs et responsables politiques pour le 50e Forum économique mondial, l’urgence climatique est sur toutes les lèvres. “Tout le monde ne parle que ça” et “il y a une vraie sincérité”, assure à l’AFP Alain Roumilhac, patron de Manpower France.
Mais si certaines initiatives sont saluées, d’autres paraissent douteuses, voire trompeuses, estiment les spécialistes.
L’idée la plus en vogue parmi les chefs d’entreprises pour montrer leur engagement contre le réchauffement, y compris chez les grands groupes pétroliers comme Shell, BP ou ENI, est de planter des arbres qui absorbent et stockent le carbone.
“Nous faisons face à une crise climatique planétaire et les arbres sont l’un des meilleurs moyens de capter le carbone”, a ainsi déclaré à Davos Marc Benioff, patron de l’éditeur de logiciels Salesforce.
Même le climato-sceptique président américain Donald Trump s’y est mis, soutenant cette semaine l’initiative “1.000 milliards d’arbres” (à planter ou sauver), basée sur une étude de chercheurs suisses parue l’an dernier et accueillie par la presse mondiale comme une solution miracle.
L’idée reviendrait à recouvrir d’arbres l’équivalent de près d’un milliard d’hectares, soit une surface plus grande que les Etats-Unis.
De nombreuses entreprises ont sauté sur cette occasion de compenser leurs émissions grâce aux arbres, sans pour autant les réduire.
Mais l’étude suisse, publiée dans Science, a été largement critiquée par les scientifiques à travers le monde, quatre d’entre eux la qualifiant dans la même revue de “scientifiquement incorrecte et dangereusement trompeuse”.
“Oui, une reforestation héroïque peut s’avérer utile, mais il faut arrêter de dire qu’il existe une solution naturelle à l’utilisation des énergies fossiles. Il n’y en a pas. Désolé”, soulignait alors Myles Allen, professeur de science du géosystème à Oxford.
Selon des dizaines de scientifiques, l’étude comporte de nombreuses failles, notamment une surestimation de la capacité d’absorption de CO2 des arbres, et n’évoque pas le problème de la concurrence entre ces plantations et les terres agricoles nécessaires pour nourrir 10 milliards d’humains en 2050.
Face à l’urgence climatique, “parfois, les politiques climat sont respectables. Mais souvent, en particulier quand elles viennent du secteur financier, elles sont trop progressives et sur la seule base du volontariat”, commente la patronne de Greenpeace Jennifer Morgan, également présente à Davos.
Compensation carbone
“Le greenwashing, c’est de la désinformation, un brouillage de la réalité et, compte tenu de l’urgence climatique, nous n’avons plus de temps pour le baratin ou l’hypocrisie”, insiste-t-elle.
Microsoft a annoncé la semaine dernière un plan pour non seulement atteindre la neutralité carbone en dix ans, mais aussi compenser l’ensemble de son empreinte carbone depuis sa création en 1975.
Or, cet objectif ne peut être atteint sans “compensation carbone”, en plantant beaucoup d’arbres et en utilisant des technologies pas encore au point pour extraire à grande échelle le CO2 présent dans l’air.
Sans cela, les émissions de CO2 de l’entreprise américaine — estimées à 59 millions de tonnes par an — ne seraient réduites que de moitié d’ici 2030.
Mais les défenseurs de l’environnement pointent surtout du doigt les accords de Microsoft avec des géants du gaz et de l’énergie, comme ExxonMobil, auxquels il fournit des outils pour optimiser l’extraction fossile et les prévisions d’approvisionnement.
“Vous ne pouvez tout simplement pas assurer d’un côté soutenir une action climatique ambitieuse et de l’autre continuer à faire ami-ami avec des industries qui sont au coeur de cette crise”, dénonce Sriram Madhusoodanan, de l’ONG Corporate Accountability.
Ce type de comportement est répandu dans tous les secteurs.
Par exemple, l’Alliance pour mettre fin aux déchets plastique, qui rassemble des industriels, investit un milliard de dollars dans le recyclage, tout en dépensant davantage encore pour construire de nouvelles usines de production plastique.
Par ailleurs, les promesses des entreprises sont aussi souvent accompagnées d’un lobbying intense auprès des gouvernements pour limiter la réglementation, selon certains experts.
“Une approche basée uniquement sur la responsabilité volontaire et non régulée des entreprises facilite la diffusion du greenwashing”, selon une étude menée par Lucia Gatti, de l’université Svizzera Italiana.
Mais les gouvernements sont conscients de cette situation, certains imposant des amendes aux groupes utilisant abusivement la mention “vert” sur leurs produits.
En décembre, l’Union européenne a renforcé les règles pour qu’un investissement puisse être qualifié d'”environnementalement durable”.
“Les normes vertes de l’UE signifient que les gens ne peuvent plus se voir proposer à l’achat de faux investissements verts”, a estimé William Todts, de l’ONG Transport & Energy.
AFP
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